Les brumes de l'apparence

Frédérique Deghelt

Actes Sud

  • 5 mai 2014

    Je me souviens d'une profonde émotion lors de ma lecture de "La Grand-mère de Jade". Ce texte envoûtant avec sa fin très surprenante. J'en voulais presque à l'auteur pour ce rebondissement final.

    Très curieuse au sujet de sa dernière publication, mais assez perplexe sur la thématique du surnaturel, je suis entrée à tâtons dans l'histoire d'une jeune femme à la vie bien rangée.

    Gabrielle vient d'avoir quarante ans, épouse d'un chirurgien esthétique de renom, elle semble vivre une vie paisible de petite bourgeoise avide de parisianisme et consumériste assumée. Le portrait de cette femme est aux antipodes de ce qui me séduit ordinairement. Un coup de fil d'un notaire de province va bouleverser la quiétude de son quotidien. Elle devient l'héritière d'une bâtisse à l'abandon dans la France profonde, au cœur d'une forêt.

    Citadine confirmée, Gabrielle n'a de cesse que de vouloir se débarrasser de ce bien immobilier. La contrainte des démarches administratives lui pèse et non sans humour, Frédérique Deghelt distille des propos assez acerbes sur la vie à la campagne. Sauf que la forêt surprend Gabrielle et au coeur de la bâtisse, elle semble habitée par des réminescences du passé, de pâles fantômes viennent peupler ses rêves.

    C'est un joli roman sur le thème du bouleversement, sur la quête de soi. Le cheminement de Gabrielle évolue du monde de l'apparence à celui de la vraisemblance. Cette quête, peuplée de fantastique, n'en souligne que davantage la mièvrerie d'une vie bourgeoise.

    Beau moment de lecture, à savourer par petites touches, tant l'écriture mime l'élan poétique."C'est pourtant le principe de toute découverte que de commencer par naviguer en terre inconnue. Comment découvrir quoi que ce soit sans aller dans la direction de l'impossible ?"


  • Conseillé par
    9 avril 2014

    Au-delà des apparences

    À quarante ans, Gabrielle a visiblement tout ce qu’elle désire : un mari chirurgien plastique formidable et séduisant, un fils adolescent sans problème, un métier dans la communication qui lui plaît. Elle s’épanouit dans cette vie moderne, dans ce tourbillon qu’elle appelle, pompeusement peut-être, la vie. Parisienne, elle ne jure que par l’urbain et exècre tout ce qui touche, de près ou de loin, à la nature. Alors, lorsqu’elle apprend qu’elle hérite d’une masure délabrée à la campagne, un terrain au milieu de nulle part, dans une région de France dont elle ignore tout, et à des heures de la capitale, l’affaire est déjà pliée : elle veut vendre, et vite. Garder ces hectares de forêt est hors de question. Elle doit cependant faire le voyage pour effectuer la transaction immobilière. Loin de tous, seule et sans réseau, on lui refuse une chambre d’hôtel et elle est contrainte de dormir sur son terrain. Cette nuit là, des choses étranges se passent. Un parfum de fleurs, une baignade dans la rivière, la sensation d’être épiée, et surtout, ce sentiment de plénitude et d’amour qui l’habite… Et puis un rêve inquiétant, et tout s’accélère. D’étranges rumeurs courent dans le village. On lui dit que son terrain est invendable : surnommée « la terre des sorciers », elle serait hantée par les esprits des guérisseurs. Gabrielle n’y croit pas, jusqu’à ce que ses cauchemars deviennent réalité, et qu’elle découvre être la nièce d’une guérisseuse, et peut-être l’héritière d’un don de clairvoyance : la faculté de voir les morts et de soigner.

    On ne sait pas bien quand le malaise s’installe, mais il est tenace, jusqu’à la fin. D’ailleurs, au quotidien, il suffit seulement d’évoquer les esprits ou les âmes, - qu’importe, leur nom n’a pas d’importance - pour qu’un rire fuse, ou que l’on change de sujet inopinément. Oui, parler d’un au-delà dérange… mais pas Frédérique Deghelt, qui laisse à son héroïne le temps de douter, de se rétracter, de refuser de valider l’incroyable. Issue d’un milieu privilégié, Gabrielle n’ose pas parler de ce qui lui arrive, de peur de passer pour folle. Sa vie bascule, mais à qui se confier sans paraître ridicule ? Comment aller de l’avant, quand tout ce qui la rattachait à sa propre vie semble s’écrouler ? Chaque promenade nocturne, chaque rêve inquiétant est prétexte à poser les questions angoissantes qui nous taraudent. Le portable éteint, loin de la ville et des autres, les pensées de l’héroïne jaillissent, imprévisibles. « Est-ce que je suis dans un monde qui ignore à ce point le sentiment, qu’il prend des manifestations d’affection pour preuve d’une santé mentale défaillante ? » Si Gabrielle avance à tâtons, l’auteure maîtrise parfaitement ce sujet inédit et délicat. Se glissant entre les croyances irrationnelles et les signes tangibles, elle pose la question de la différence, de notre effroyable intolérance face à ce qui nous est éloigné. Peu à peu, son héroïne laisse son rassurant quotidien s’effondrer, et va devoir faire face au désarroi de ses proches, à leur incompréhension surtout, d’une violence extrême, presque insensée. Elle découvre deux mondes opposés, celui de l’irrationnel, de l’ouverture et du possible, face à notre quotidien, follement étriqué. « Oui, il nous arrive des choses extraordinaires. Mais on les rejette d’emblée, parce qu’elles nous font peur et que l’on nous dit que c’est impossible », nous dit l’auteure. Sur un ton philosophique et profondément humaniste, Frédérique Deghelt nous pousse à prendre conscience de l’essentiel, bien au-delà des apparences.

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